Airoldi, Manitou de la fontaine de Jouviance.


Tout le monde en a probablement déjà entendu parler, étant donné les réactions enflammées que l’on peut retrouver çà et là sur la sphère du web (notamment sur cette page facebook ou dans cet article), c’est-à-dire la nouvelle émission de Jean Airoldi.

Airoldi. Je ne suis pas très jet-set pour tout ce qui a trait aux « vedettes » québécoises, mais celui-là, je l’avais déjà pris en grippe avant même de voir sa gueule dans Google Image. Airoldi, c’est ce type qui flanquait des « contraventions de style » (oui-oui) à des monsieurs/madames-tout-le-monde dans les centre-d’achats. En d’autres mots: celui qui faisait savoir au Québec au grand complet comment tu ne sais pas t’habiller, et comment tes pantalons sont so two-thousand-late et qui, pour se faire pardonner cette forme d’intimidation (parce que c’est exactement ce dont il s’agit), t’offrait un certificat-cadeau et des conseils de stylistes pour que tu t’habilles mieux. Oh et, n’oublions pas l’émission « Airoldi habille sa maison », où on te montrait comment monsieur Airoldi a donc ben plus d’argent que le commun des mortels! Oui, bon, ce gars-là.

Pour ceux qui n’en n’ont pas encore entendu parler, voici, brièvement, le concept de sa nouvelle émission, qui sera diffusée sur Canal Vie dès lundi: on place des femmes dans des cages en plexiglass, et on demande aux passants quel âge semble avoir ladite madame. Oui, d’accord. C’est pas ce qu’il y a de plus commode à faire subir à une femme, mais on a vu… non? L’affaire, c’est que, alors que dans l’émission dont il est question ci-haut, monsieur Airoldi aidait madame-mal-habillée à se refaire une garde-robe, cette fois-ci, notre gourou de la mode aide madame-qui-a-donc-l’air-vieille à se refaire faire la gueule. Oui, je parle bel et bien de chirurgie esthétique — de scalpels, de botox, et autres truc du genre dont une femme a donc besoin pour se sentir bien, belle et en forme. (Vous pensez que j’invente? Un avant-goût de l’émission se trouve sur ici-même)

Cette émission est profondément dérangeante, et pour toutes sortes de raisons. Tout d’abord, parce que d’exposer des femmes dans des cages transparentes évoquent étrangement le red-light district  — soit juste un lieu où des femmes s’exposent pour vendre leur corps et faire vivre l’industrie du sexe. Ensuite, parce que d’étaler des madames-tout-le-monde dans des cages de verre, c’est les déshumaniser; d’en faire ainsi l’étalage, c’est les réduire à une objectification déjà beaucoup trop encouragée par la société, en plus de les rabaisser au même niveau que de vulgaires morceaux de viandes avariées. Parce que voilà comment doivent se sentir ces femmes, victimes du joug du terrible Jean Airoldi: comme de la viande avariée.

Nous savons déjà comment l’industrie du cosmétique et pharmaceutique s’en mettent annuellement plein les poches, merci aux madames-tout-le-monde qui lisent trop les conseils beauté du Châtelaine et qui, par conséquent, se comparent donc constamment avec la nouvelle stagiaire qui vient d’être engagée au bureau — t’sais, celle qui a vingt-sept ans de moins et qui, évidemment, n’a pas le même physique? Vieillir n’est plus une norme socialement acceptée: au contraire, les femmes doivent désormais lutter quotidiennement contre le moindre signe qui pourrait trahir leur âge véritable. Regardez combien les pharmacies abondent des crèmes raffermissantes, de sérum ainti-vieillissement, de lotions anti taches brunes et de correcteurs pour les rides. Les rayons de cosmétiques et de soins esthétiques en débordent et, malgré leur prix exorbitant, ces cochonneries (dont les résultats restent sérieusement à prouver) se vendent en quantité hallucinantes. Cette aliénation est tellement omniprésente qu’il va se doit, quand la compagnie Annabelle offre deux BB crèmes différentes, d’opter pour celle qui contient « une solution miracle contre l’apparence des ridules et l’affaissement de la peau »… même si on a seulement vingt ans. (Clin d’oeil à la petite fille chez Pharmaprix qui m’offrent constamment des échantillons des nouveaux produits de Jouviance ou de Biotherm « contre la vieillesse », franchement.)

Honnêtement, que Canal Vie en vienne à accepter de diffuser sur ses ondes une telle abomination n’a rien d’étonnant: car, bien qu’il s’agisse d’un des principaux « porte-étendard » (parce qu’on ne peut apparemment pas dire « commanditaire ») de la Journée Sans Maquillage, n’oublions pas comment il s’agit d’une des chaînes principales, au Québec, qui se fasse un plaisir de nous diffuser encore et encore une multitude d’émissions de relookage, de bonnes femmes qui jasent des nouveaux musts de la saison et de comment, cet été, il faut absolument la nouvelle collection de baumes à lèvres Lise Water. Canal Vie, après tout, est passé maître dans l’art de faire réaliser aux gens (aux femmes) combien leur vie est donc fade et ordinaire. Non, ce qui m’étonne, ce qui m’insurge, c’est que des femmes puissent accepter de subir une telle humiliation publique, montant d’elle-même sur l’échafaud qui les conduira à leurs pertes.

Voulez-vous bien me dire, mesdames, en quoi monsieur Airoldi est mieux placé que quiconque pour vous dire de quoi vous devriez avec l’air? Je vous rappelle qu’on parle du type qui se pense bien fringué parce qu’il a collaboré à une collection pour l’Aubainerie et parce qu’il ne porte que des chaussures Aldo. (Sérieusement, vieux, t’aurais beau être Christian Dior et ne porter que des Louboutin, ça ne te donnerait pas plus de pouvoir sur les Manon et les Guylaine mal dans leur peau et, de ce fait même, plus vulnérable encore au jugement masculin.)

Parce que, il faut le préciser: ce ne sont que des femmes qui ont le droit à ce traitement, ô combien abjecte, de Jean Airoldi. Pas un seul monsieur à qui l’on reproche le double-menton, la bedaine de bière, les tempes grisonnantes, ou les poils qui sortent des oreilles. Jamais. « Parce que nous, les hommes, on est ben trop intelligents pour ne pas se laisser avoir par la game de l’industrie pharmaceutique qui veut nous vendre des produits miracles pour paraître plus jeune. » Faux: vous n’êtes pas plus bright que nous autres, femmes. L’affaire, c’est que la société vous accepte, vous et votre physique qui commence à se relâcher. Que tu ne sois plus très baisable à partir de quarante-cinq ans, la société, elle s’en fout. Mais ta femme, par contre, elle, faudrait vraiment faire quelque chose, parce que, franchement, sa taille de poire et ses pattes-d’oie…

Je pourrais encore écrire des heures durant sur cette aberration, sur comment je m’insurge de voir que le Québec est encore trop profondément imbécile pour vouloir renoncer à diffuser ce genre de pollution. Je pourrais vous raconter comment, quotidiennement, je vois des femmes de mon entourage – ma mère, des enseignantes, des amies – victimes de cette aliénation, s’insurgeant contre leur corps de vieillir encore et encore, sans que le processus ne veuille jamais s’interrompre ou se ralentir. Je pourrais expliquer comment il va de soi que le corps d’une femme change, en vieillissant – à cause de la gravité, de la ménopause, des grossesses, de la vie en général.

Mais j’ai un échantillon du nouveau sérum anti-âge de Jouviance à aller essayer. J’ai juste vingt ans, mais, si on veut que ça marche vraiment, si je veux être encore désirable et telle que Jean Airoldi veuille que je sois, dans ma quarantaine, autant commencer tout de suite…

#PasDeCagePourMonAge

5 réflexions sur “Airoldi, Manitou de la fontaine de Jouviance.

  1. Je suis toujours surprise du nombre de crème anti ride , ridule, tâche brune que peut contenir une allée de pharmacie je suis fidèle à ma pas si pire crème hydratante qui coûte un prix modeste selon moi. Par contre en lisant ce texte je n’ai pas pu m’empêcher de voir que derrière ma tablette la publicité de la dire émission passait ! En quoi se faire dire que tu t’habille pas comme l’industrie de la mode veut,que l’on s’habille, j’ai un style très similaire au travail que dans ma vie de tout les jours certains diront que je devrais séparer les deux mais selon moi si je suis dans ma peau et dans mon style pourquoi le changer ? Pour que je sois plus jeune ou lieu de plus sérieuse. Ou se trace la ligne entre les deux…. On nous revoie constamment une certaine image malheuresement je ne rentre pas dans le dit moule est ce que ça fais de moi une personne plus malheureuse ? Je pourrais dire que dans une certaine période de ma vie j’avais envie d’être le modèle de la mode mais je me suis accepter et j’ai continuer mon chemin. Alors je croit que tout le monde avance dans la même direction embellir avec l’âge comme le vin le fais

  2. Pingback: Féminisme et mascara: une émancipation superficielle? | madame bovarysme

  3. Je suis contre le concept de cette émission, oui. Mais de mettre le blâme sur les cosmétiques et les vendeuses de pharmacies, tu vas trop loin. Tu es pourtant une jeune femme, qui, si je ne me trompe, AU MINIMUM, te remplis les sourcils -beaucoup trop- au crayon COSMÉTIQUE. Et ici, je ne parle pas seulement de crèmes mais de make-up. Peut-être que toi, tu ne comprends pas toute la diversité de crèmes disponibles. Mais si, la petite crème antirides apporte du réconfort à madame tout le monde, BIN QUIN. Pour avoir assisté à maintes formations à l’Institut l’Oréal, y’a des agents cosmétiques ACTIIIIIIIFS dans ces produits. C’est sur que si t’a pas le cerveau assez évolué pour te laver le visage à chaque soir et appliquer ton soin hydratant, tu verra pas d’éfficacité YOUKNOW.

    • Ton commentaire ne fait que me prouver que tu n’as absolument rien saisi à mon article…
      Je ne mets pas le blâme sur les cosmétiques et les vendeuses de pharmacie, non. (Sinon mon allusion à celle qui me propose des produits anti-rides à mon âge, parce que, sérieusement, c’est absurde) J’explique justement dans cet article comment, moi la première, je suis une grande consommatrice de maquillage — je l’ai dit: ma trousse quotidienne contient l’attirail complet d’un maquilleur professionnel. Et jamais, jamais, je n’aurai honte d’avouer être maquillée de fond en comble. C’est pourquoi, d’ailleurs, je fais l’apologie du maquillage comme d’une forme d’art à part entière. As-tu vraiment lu mon article avant de te lancer dans la rédaction d’un commentaire aussi enflammé, sérieusement?
      Ce que je dénonce, c’est le sentiment d’OBLIGATION qu’on essaie d’inculquer à trop de femmes lorsqu’il est question de soins cosmétiques. Je ne remets pas en cause l’efficacité de certains produits — ma propre étagère déborde de crèmes et exfoliants de touts genres. Ce qui me révulse, c’est qu’avec des émissions comme celle de M. Airoldi, on contribue à cette idée qu’une femme doit absolument avoir l’air de ce que l’on voit partout dans les médias, c’est-à-dire jeune et pimpante. Il est normal que le corps vieillisse, que la peau se flétrisse, que des rides se forment. Tant mieux si certaines femmes se sentent mieux dans leur peau en utilisant certains produits cosmétiques (moi-même, je serai très sûrement l’une d’entre elles, plus tard). Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas une obligation; certaines femmes ne se sentent pas elles-mêmes lorsqu’on les barbouille de maquillages, et, l’essentiel, selon moi, c’est avant tout d’être bien dans sa peau — que ce soit avec ou sans.
      Je te remercie de partager ton opinion avec moi; cependant, je te prierais, à l’avenir, de lire un tant soit plus attentivement avant de te prononcer. L’essentiel de cet article était justement à l’inverse de tes propos: c’est-à-dire, nuancé. Tout n’est pas blanc ou noir, certes; ce que je soutiens, c’est qu’il ne faut pas lancer de pierres aux femmes qui entretiennent leur image et se proclament tout de même féministes, car ce sont deux choses absolument distinctes l’une de l’autre. Jamais je n’ai tenté de faire l’apologie de l’apparence « au naturel », ou de condamner à mort l’industrie du cosmétique. Voilà!

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