Féminisme et mascara: une émancipation superficielle?


Pour donner suite à mon précédent article, et en réponse à celui écrit par Sophie Durocher: Oui, on peut « être féministe et vouloir se teindre les cheveux ». Et, oui, moi aussi « j’en ai marre des idéologues qui veulent empêcher les femmes d’avoir du plaisir à être belles! »

J’ai déjà expliqué en quoi la nouvelle émission de Jean Airoldi me révoltait; or, bien que je sois en parfait désaccord avec les propos qu’elle soulève dans le Journal de Montréal, je dois accorder à madame Durocher qu’il est pardonnable, en effet, d’avoir du mal à comprendre la relation controversée existant entre le féminisme et l’industrie du cosmétique. Plutôt que de m’acharner à expliquer pourquoi le fait de reprendre une émission anglaise qui « a fait fureur aux É.-U. à TLC » n’est pas inévitablement une sage décision (parce qu’on ne souhaite évidemment pas une version québécoise de The Office), essayons plutôt de comprendre pourquoi, dans l’imaginaire collectif, le mouvement féministe et le soin de l’apparence font rarement bon ménage — et pourquoi une telle mentalité est, à mon avis, complètement absurde.

« Féministe, toi? C’est drôle, pourtant, t’en as pas l’air! » Mettons d’abord une chose au clair: on ne peut pas avoir l’air d’une féministe. Malgré les récentes popstars qui se self-proclaim comme telles, être féministe n’est pas une mode; on ne le devient pas comme ça, selon une envie du jour, au même titre qu’on décide de s’acheter un haut peplum couleur corail, « juste pour voir de quoi ça aurait l’air ».

Honnêtement, j’ai pris l’habitude de voir les gens hausser un sourcil (ou deux) lorsqu’ils m’entendent parler de féminisme — moi, la fille qui arrive à ses cours de littérature avec un Vogue magazine dans les mains, j’ai lu Simone de Beauvoir et The Beauty Myth? Absolument. Oui, je me maquille — truth is, ma trousse de maquillage quotidienne contient probablement tout l’attirail d’un maquilleur professionnel. Oui, je m’habille et me coiffe avec soin — je me plais à porter des talons hauts, même pour aller à mes cours, où personne ne verra mes pieds, sous les bureaux. « L’important, c’est que t’arrives à te trouver belle même sans », m’a un jour répliqué une fille à qui j’essayais d’introduire le principe du Lipstick feminismEt même si je ne me trouve pas belle, sous mon fond de teint et mascara, en quoi mon estime personnelle se doit-elle d’avoir une quelconque corrélation avec mes idéologies et principes? (Et là, évidemment, je lui ai parlé du phénomène Nelly Arcan, comme je le fais toujours…)

Car voilà justement un point qui revient souvent, lorsque l’on se questionne à la relation qu’entretiennent féminisme et soin de l’image: le maquillage renforce-t-il l’estime qu’a une femme d’elle-même, ou, au contraire, ne fait-il qu’y nuire? Comme le fait remarquer Twiggy dans son article à ce sujet sur T&T, si le maquillage est un sujet controversé au sein du (des?) mouvement(s) féministe(s), c’est d’abord parce que, dès qu’on parle de cosmétiques, on pense davantage à la manière dont on l’utilise pour se « cacher » plutôt que de se mettre en valeur. Alors que certaines femmes ne sont pas à l’aise du tout lorsque leur visage se retrouve fardé, pimpé, pour d’autres (dont moi-même), l’entretien de l’image est, certes, une façon de se définir en public, j’en conviens, mais, surtout, un hobby comme un autre — d’où la multitude de blogs et chaînes Youtube dédiés à des makeups tutorials, que je consomme moi-même abusivement. (Oui, je me plais à essayer de nouvelles techniques de maquillage — ou de coiffure — toute seule chez moi, même lorsque je prévois passer la soirée à écouter Adventure Time en joggings dans mon lit.)

Bien que plusieurs estiment le contraire, le maquillage est une forme d’art — ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, qu’en anglais on nomme un maquilleur/une maquilleuse makeup artist. Agencer les couleurs, construire des effets d’ombrages et de lumière, mettre en valeur la structure et le caractère de certains traits faciaux; le visage devient comme une toile, un canevas vierge où on peut faire preuve de créativité. Ou, du moins, telle est l’idée que je m’en fais lorsque je me poste devant mon miroir pour les vingt prochaines minutes, chaque matin. (« Mais ce pourrait être vingt minutes de sommeil supplémentaires! », vous entends-je déjà dire. Le truc, c’est que je dors déjà très peu anyways.)

Tandis que certaines proclament le contraire, soigner son apparence — maquillage, vêtements, cheveux… — demeure avant tout un choix; aucune femme ne devrait s’attifer de quoi que ce soit contre son gré; au contraire, plutôt que de booster son estime et sa confiance en elle, cela ne ferait que la rendre inconfortable, cela va de soit. Car on oublie souvent l’un des intérêts (pour ne pas dire buts) premiers du féminisme: qu’une femme se sente bien telle qu’elle est ou, du moins, telle qu’elle souhaite l’être. Oui, le culte de l’image est profondément ancré dans notre société (surtout en Amérique du Nord), et plusieurs femmes subissent les conséquences négatives de son diktat; or, une domination n’en est une que lorsqu’on lui permet de le devenir.

Soigner son apparence, aussi superficiel cet intérêt puisse-t-il paraître, ne devrait en aucun cas être considéré comme un résultat direct de la patriarchie — car, avouons-nous le, rares sont (ou, du moins, rares devraient-elles être) les femmes qui se maquillent pour leurs semblables masculins. Soyons honnêtes, mesdames: combien de fois un homme vous a-t-il complimenté sur votre contour ou sur votre choix de lipstick? Personnellement, je me plais davantage à l’idée d’aller faire une virée chez Sephora entre copines, plutôt qu’à l’idée de quelle sera la réaction de mon copain devant ma nouvelle marque de mascara. Et n’oublions pas que les hommes, eux aussi, sont de plus en plus ciblés par l’industrie du cosmétique (on pense notamment à la gamme de plus en plus élargie des produits Nivea for Men, les parfums, et, même, les BB creams pour hommes…), étant également victimes d’un idéal de beauté difficilement atteignable.

L’entretien de sa propre image, se maquiller ou ne pas se maquiller ne devrait jamais être représentatif de nos convictions, ni de la personne que nous sommes. Bien que je rie toujours un peu jaune lorsque les gens me disent que je n’ai « pas le profil d’une étudiante en littérature », le temps que je passe devant mon miroir chaque matin n’aura jamais, pour moi, la moindre incidence sur ce que je suis fondamentalement et sur ce dont je souhaite faire de ma vie.

Devrais-je avoir honte de me proclamer féministes malgré la perception péjorative qu’en a la société? Absolument pas. Devrais-je avoir honte de me maquiller abondamment, malgré les préjugés auxquels me réduisent la société? Absolument pas. Devrais-je, par conséquent, avoir honte de ne pas représenter le stéréotype et l’idée préconçue que se fait la société d’une féministe?

J’en doute. Je m’en vais relever le défi de brûler mon soutien-gorge en me mettant du mascara tout à la fois, et on s’en reparle.